Texte d’invitation

Intérimaires, embauché-e-s, indépendant-e-s

SE SERRER LES COUDES, C’EST DANS NOS CORDES ?

Cordistes, une passion peut-être, mais un boulot quand même

Qu’on vienne de rentrer dans le métier, qu’on y soit depuis des plombes ; qu’on kiffe ce job ou qu’on y aille à peu près comme on irait à l’usine ; qu’on soit intérimaire, embauché-e ou indépendant-e ; d’une manière ou d’une autre, ça reste un boulot.

Le truc qui nous permet de croûter à la fin du mois. Ce truc qui nous fait passer nos journées à vendre notre temps et notre sueur pour vivre.

Un métier en pleine mutation

C’est aussi une profession relativement récente. Ou, du moins, qui explose depuis une petite vingtaine d’années. Au départ une poignée de guides, spéléos et alpinistes qui se faisaient quelques chantiers pour compléter leurs saisons, on est aujourd’hui plusieurs milliers à être entrés (et à continuer d’entrer) dans ce métier depuis tous les horizons possibles et imaginables.

Comment s’est produit un tel boom ?

En partie par le développement, la promotion et la reconnaissance de savoir-faire par tout un tas de secteurs d’activité économique (bâtiment, TP, industrie, événementiel,…).

Mais aussi (et surtout ?) parce que, dans bien des cas, faire réaliser un chantier par une équipe de cordistes devient bien moins cher que faire installer un échafaudage, une nacelle, ou autres EPC.

Et ça au détriment de qui ?

Quels bénéfices, quelles conséquences pour les cordistes ?

Au premier abord, ça paraît plutôt cool. Du taf de cordiste, c’est pas trop dur à trouver. Et dans une période où, contrairement à ce que certains prétendent, il ne suffit pas vraiment de traverser la rue pour trouver du boulot, ça représente une certaine opportunité dans la vie de nombre d’entre nous.

Mais à quel prix ?

Au prix de rémunérations en baisse vertigineuse. Des presque 20 balles de l’heure il y a une vingtaine d’années, on est passé aujourd’hui à des taux horaires ayant rarement grand-chose à jalouser au Smic et bien souvent inférieurs à ceux de nombre de jobs piétons. Ou encore au prix de magouilles qui font qu’on devient content de toucher des dép’. On en vient même à considérer des défraiements comme du salaire quand on fait les trimards à pieuter dans nos camions ou à utiliser d’autres systèmes D. Oubliant souvent au passage que les conséquences s’en feront sentir sur nos indemnités chômage, maladie et retraite… si tant est qu’à ce rythme-là on en ait une, un jour, de retraite. Bref, au prix de cette tendance générale, continue (et inéluctable ?) à voir nos rémunérations tirées vers le bas.

Et tout ça sans parler d’un autre prix à payer.

Celui de nos chairs, de notre santé, de nos vies…

Parce que la sécurité pour les cordistes…

Si on écoute le dernier reportage sur France 21, les cordistes ils sont tellement balaises qu’ils ont jamais d’accident ! Ouais, ouais…
Dans la réalité, c’est quoi la durée moyenne d’un cordiste dans la profession ?
Combien de démotivés jettent l’éponge dans les premières années ?
Combien sont contraints d’arrêter, usés et cassés par le boulot ?
Combien d’accidents graves ? Combien de morts chaque année2? !
Trop. Toujours trop. Toujours trop de collègues qui nous ont quittés. Toujours trop d’entre nous mutilés par le boulot. Et dans nombre d’accidents qu’est ce qu’on retrouve ? Des économies sur les process de sécurité. Des pressions au rendement qui inéluctablement favorisent les erreurs.
Erreurs, dont certaines ne pardonnent pas.
Si le risque est inhérent à notre métier, il reste malgré tout et toujours inacceptable.
Inacceptable, parce qu’un accident constitue rarement un avant et un après. Inacceptable, parce que des risques connus continuent de produire des accidents. Inacceptable, parce que rendement et profits priment trop souvent sur la sécurité. Inacceptable, parce qu’au final, pour nos employeurs, l’accident n’est rien d’autre qu’une variable bien souvent négligeable sur des documents comptables.

 

Et pourtant, nos employeurs et le marché de la corde…

10, 11, 12 ou même 13 balles de l’heure pour aller s’user et risquer littéralement sa vie et sa santé… C’est pas fou ! Et d’autant plus quand on se penche un tant soit peu sur les résultats et évolutions de ce secteur d’activité florissant qu’est la corde !

Difficile d’obtenir des chiffres, mais en croisant seulement quelques articles de journaux on a vite une idée de l’énormité du business. En seulement quatre ans, le secteur des travaux acrobatiques serait passé de 350 entreprises à près de 730 aujourd’hui. Et, si nous étions déjà 5000 à bosser comme cordistes en 2014, on nous recense aujourd’hui à plus de 8500. Un nombre de travailleurs qui aura quasi doublé en à peine cinq ans. En 2017, tous les marchés de la corde ont enregistré une croissance de plus 10 % ! Pour un chiffre d’affaires total la même année approchant les 800 millions d’euros3 !
Alors oui, on comprend pourquoi tous les pontes du SFETH étaient tout guillerets lors du dernier championnat de cordistes ce printemps à Marseille. C’est avec les yeux brillants de dollars que ces requins regardent l’avenir. C’est là qu’on y a entendu J. Bordignon (président du SFETH et patron d’Hydrokarst) se réjouir du caractère « plus souple, plus rapide et plus économique » du travail sur cordes comparé à l’utilisation d’échafaudage et de nacelles. Quand il dit ça, c’est de nous tous, travailleurs et travailleuses cordistes, qu’il parle. Ce que, entre les lignes, il faut comprendre de son enthousiasme, c’est que c’est sur nos conditions de travail et nos rémunérations que ces requins sont en train de se remplir les poches.

Parce que nos employeurs n’ont pas attendu pour s’organiser…

Depuis 1988, les patrons des boîtes de cordes s’organisent. D’abord à travers le SNETAC (Syndicat national des entreprises de travaux acrobatiques), puis, en 2002, avec ce qui deviendra l’actuel SFETH (Syndicat français des entrepreneurs de travaux en hauteur). Ce syndicat patronal leur permet de se regrouper pour structurer une profession en plein développement (via le DPMC notamment). Mais aussi, malgré la concurrence qui les opposent, les patrons de la profession reconnaissent là leurs intérêts communs. Intérêts communs en matière d’image et de représentation face aux pouvoirs publics et à tous leurs clients potentiels. Et, surtout, des intérêts communs à cadrer, à gérer et à tirer profit de la masse croissante de cordistes qu’ils cherchent à faire bosser sur leur chantiers.

En pratique, c’est certes le développement de réglementations et de certifications pour améliorer la sécurité. (Mais qui ne recadrent presque que les travailleurs. Pas les boîtes…). Mais c’est aussi un travail permanent de dilution des responsabilités. Les travailleurs sont formés donc responsables ! Une chaîne hiérarchique dont chaque maillon forme autant de fusibles qui protègent l’employeur en cas de pépin. Et sans parler des chaînes de sous-traitance (intérims, sous-traitants, entreprises extérieures, donneurs d’ordre, etc. ) qui en cas d’accident se renverront tous la balles.

Un syndicat patronal, c’est aussi une structure pour mettre en commun des outils, des avocats et des jurisprudences pour ne pas être inquiété si l’un d’entre nous se blesse ou décède sur un chantier. C’est des black lists de travailleurs à ne plus embaucher… Et c’est aussi un objectif commun : la baisse du « coût du travail », c’est-à-dire nos salaires. Et là, les patrons de la corde, on peut dire qu’ils y sont bien arrivés !

Des cordistes de plus en plus nombreux, mais toujours aussi isolés les uns des autres.

Et nous ? Cordistes intérimaires, embauché-e-s ou indépendant-e-s ? Chaque année, c’est des centaines de nouvelles personnes qui sortent de formation et qui se lancent sur le marché du travail. On est de plus en plus nombreux, mais en réalité, quand on a une galère, quand on essaie de négocier un salaire ou des conditions de travail un peu plus acceptables, quand on se retrouve en conflit avec la boîte d’intérim ou le patron, on a beau être nombreux, on est au final souvent isolés. Isolés parce que le turnover sur les chantiers et dans les boîtes rend les relations si éphémères qu’il ne laisse souvent pas le temps de réagir collectivement. Isolés aussi parce que souvent, le chacun pour soi de cette société n’a malheureusement aucune raison d’épargner le milieu des cordistes…

Trop souvent isolés, alors qu’à plusieurs, un minimum solidaires, un minimum organisés, le rapport de force serait bien souvent différent face à nos employeurs respectifs.

Mais alors on fait quoi ? Comment rompre l’isolement ? Comment se défendre ?

S’organiser entre cordistes intérimaires, salarié-e-s et indépendant-e-s, ce serait s’unir, se rassembler pour essayer de peser face à nos patrons. Ça pourrait être de construire un rapport de force pour se défendre les unes les autres. Pour se défendre tous ensemble. Pour savoir imposer des rémunérations correctes. Pour savoir refuser des conditions de travail dangereuses, indignes, éreintantes.

S’organiser, ce serait diffuser au plus grand nombre tous les petits outils juridiques et combines administratives concernant les dép’, les majorations des nuits, des heures sup’, les frais kilométriques, les calendaires, etc. Ou encore sur la question des kits EPI, que l’on fournit nous-mêmes sans le moindre dédommagement… Toutes ces petites choses sur lesquelles on essaie toujours de nous avoirMais aussi la question du droit de retrait. Ou encore celle du droit de grève…

S’organiser, ce serait partager des retours d’expérience en cas de litige avec un employeur. Ce qui a été tenté, ce qui a marché et ce qui a foiré…

S’organiser, ce serait être capables de nous déplacer à trois, quatre, cinq, ou dix pour nous prêter main-forte quand l’un ou l’une d’entre nous se retrouve en galère, isolé, à avoir du mal à faire respecter ses droits sur un chantier. On imagine rarement comme on se fait moins envoyer bouler, comme on nous écoute différemment quand on est seul à demander quelque chose ou quand on demande la même chose à plusieurs !

Parce que la justice et l’administration ne sont pas faites pour être simples à utiliser, s’organiser, ce serait s’épauler quand l’un ou l’une d’entre nous décide d’attaquer son employeur en justice. Ce serait aussi partager des contacts d’avocats, de personnes ressources.

S’organiser, ce serait être capable de constituer une caisse de grève si des collègues s’engagent dans un conflit avec leur boîte.

Parce qu’on est cordistes, que ça a de la gueule et qu’on kiffe ça aussi, s’organiser ce serait imaginer et faire des actions « coup de poing » pour faire connaître nos problèmes, mettre la pression sur telle ou telle entreprise, boîte d’intérim ou institution…

Parce que le corporatisme, s’organiser en tant que cordistes, c’est un point de départ, mais aussi une limite : se faire avoir en tant que cordiste c’est pas bien différent que se faire avoir en tant que maçon, soudeuse, manutentionnaire ou femme de ménage. S’organiser, ce serait aussi se laisser la possibilité de filer des coups de main à n’importe quel collègue en galère sur un chantier, qu’il soit cordiste ou non…

S’organiser, ce serait déterminer notre mode d’organisation : Syndicat ? Syndicat autonome ?Association ? Collectifs autonomes ? Et la section CGT cordistes ? Ce serait peser les avantages et les inconvénients, les limites et les possibles de telle ou telle forme d’organisation. Le principal étant que ça réponde au plus près à nos attentes.

Parce qu’il n’y a pas UNE recette miracle qui va résoudre tous nos problèmes. Parce que ce qui précède n’est pas un manifeste mais seulement une série de propositions à réfléchir ensemble. Pour toutes ces raisons, s’organiser ce sera surtout et avant tout un tas de bonnes idées à échanger, de pistes à creuser, d’autres à imaginer. Et là‑dedans, à choisir ce qui collectivement nous paraîtra le plus pertinent de tenter en premier.

UNE RENCONTRE DE CORDISTES AU MOIS JANVIER ?

Prenons le temps d’un week-end pour :

  • partager les problématiques qu’on rencontre sur les différents chantiers

  • créer des outils pour être moins désarmés face aux galères du boulot

  • tisser un réseau de solidarité

  • se filer des tuyaux

  • imaginer des manières pour mettre la pression sur nos employeurs

  • échanger toutes les bonnes idées, les pistes à creuser, les choses qu’on voudrait tenter.

  • s’organiser, se serrer les coudes, lutter ensemble

Un week-end très très sérieux, mais qui laisse quand même la place à la déconne.

Un week-end qui en appellera d’autres…

Alors à vos agendas.

À vos covoiturages.

Et RDV les XX et XX janvier 2019 pour déblayer tout ça ensemble

2Accidents mortels à répétition : quand l’agro-industrie joue avec la vie de ses techniciens cordistes,
Franck Dépretz,
Basta Mag, 03/07/2018
https://www.bastamag.net/Accidents-mortels-a-repetition-quand-l-agro-industrie-joue-avec-la-vie-de-ses

3Les travaux en hauteur enregistrent une envolée record, Les Échos, 16/05/2018
https://www.lesechos.fr/16/05/2018/lesechos.fr/0301671189734_les-travaux-en-hauteur-enregistrent-une-envolee-record.htm